vendredi 12 décembre 2008



Un don prestigieux, le Bréviaire de Montier-la-Celle

Grâce à la générosité d’un donateur, Pierre Guérin-Ruben, récemment décédé, le département des Manuscrits vient de s’enrichir d’un magnifique manuscrit à peintures de style gothique, datable de la fin du XIIIe ou du début du XIVe siècle (coté Nouv. acq. lat. 3241), dont l’importance artistique se double d’un intérêt certain sur le plan historique.


Destiné au culte de l’Église catholique, le volume, qui est incomplet dans son état actuel, rassemble deux livres liturgiques distincts largement répandus dans le culte de l’Église catholique : un missel pour les grandes fêtes et un bréviaire, plus précisément la partie,
dite sanctoral, contenant la célébration des saints, pour la saison du printemps jusqu’à l’automne. D’abondantes notations musicales sur quatre lignes de portée tracées à l’encre rouge accompagnent les offices qui devaient être chantés dans le chœur de l’église.
En l’absence de titre ou de mention explicite, seul l’examen du contenu du volume nous permet de localiser sa destination. Les lectures de l’office à douze leçons et la fête de la translation des reliques de saint Benoît, le 11 juillet, sont autant d’indices qui nous conduisent vers un monastère de l’ordre bénédictin.
Des saints honorés localement mettent sur la piste de la Champagne et de Troyes, tel saint Loup, évêque de Troyes (29 juillet), ou d’autres moins connus, comme la vierge Exupérance (26 avril), ou encore saint Memorius et ses compagnons martyrs au temps d’Attila (7 septembre).
Particulièrement remarquable est l’importance donnée, le 16 octobre, à la fête de saint Frobert (Frodobertus), fondateur et premier abbé de Montier-la-Celle, mort vers 673. Ces données hagiographiques permettent, presque à coup sûr, d’attribuer l’usage de ce superbe manuscrit à la grande abbaye bénédictine située aux portes de Troyes, aujourd’hui détruite ; il manque toutefois la preuve définitive, en l’absence de la fête de la dédicace de l’église, le 5 juillet.
D’autres manuscrits similaires, provenant de cette abbaye, sont conservés à la médiathèque de Troyes, mais ils ne présentent pas l’exceptionnelle qualité artistique de celui-ci. Il faut admirer la beauté de la mise en page et l’abondance du décor ornemental. Sur chaque page, tout au long du volume, d’innombrables initiales ornées se prolongent par des antennes dentelées qui se transforment dans les marges en souples tiges végétales à feuilles pointues, peuplées de petits personnages, hybrides, oiseaux, grotesques. Les couleurs vives, bleu, rose, et surtout orange et vert font contrepoint à l’éclat de l’or en feuille, généreusement distribué. L’illustration du texte est constituée de 53 initiales historiées, représentant les saints personnages dont la fête est célébrée, dans leurs miracles ou leur martyre.
Ainsi, un moine (f. 162v) à la tête nimbée bénissant une dame coiffée d’une guimpe, assise, les mains jointes en prière, illustre un épisode miraculeux de la vie de saint Frobert, qui guérit sa mère aveugle.
Une autre illustration un peu énigmatique, au f. 151, montrant un berger, une houlette à la main, debout entre deux porcs, représente saint Serein, originaire de Metz au temps du roi Dagobert, dont la légende raconte qu’il mena un temps une double vie de berger et d’étudiant en lettres et en théologie. Le saint était particulièrement vénéré au prieuré de la Celle-sous-Chantemerle, dépendant de Montier-la-Celle.
Où le manuscrit a-t-il été réalisé ? La qualité et le raffinement du décor suscitent immédiatement un rapprochement avec l’activité des ateliers parisiens de la fin du XIIIe siècle, alors prédominante. Pourtant, certaines particularités stylistiques l’éloignent de Paris et le rapprochent du Bréviaire de Saint-Bénigne de Dijon (Dijon BM, ms 113) et d’un groupe de manuscrits lorrains liés à la famille de Bar, datables des premières années du XIVe siècle. Tant il est vrai que l’enluminure en Champagne, singulièrement remise en lumière, pour le XVe siècle, par l’exposition qui a lieu en ce moment à Troyes, reste à découvrir pour les époques antérieures. Le destinataire d’un manuscrit aussi luxueux ne pouvait être qu’un grand personnage. Depuis le départ de la dernière comtesse de Champagne, Jeanne de Navarre, qui se marie en 1284 avec le futur Philippe le Bel, la cour de Champagne avait perdu tout son lustre. Pourtant, une personnalité émerge, caractéristique de cette époque sulfureuse qu’on a appelée celle des « rois maudits » : le moine Guichard, protégé de la nouvelle reine et de sa mère, Blanche d’Artois, devenu abbé de Montier-la-Celle, puis évêque de Troyes en 1298, dont l’attitude scandaleuse causa la ruine et l’arrestation en 1308.
Le richissime ecclésiastique serait-il le commanditaire ? Le manuscrit a fait partie au XIXe siècle de la collection du célèbre journaliste politique, Armand Bertin, directeur du Journal des débats. C’est à cette époque que le volume a reçu une élégante reliure en velours vert, ornée de deux fermoirs en vermeil, fleurdelisés, signée du grand relieur parisien, Bauzonnet-Trautz.
Marie-Françoise Damongeot

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